Intérieur, un soir de février
Amélie est en première secondaire. Dans une école de haut calibre. Où ca joue dure entre adolescents surdoués, doués ou tout simplement plus forts que la moyenne. Amélie se classe dans la catégories des doués. Pas vraiment d'efforts à fournir dans plusieurs matières pour «clancher» solidement les juste «plus forts», mais du travail est nécessaire ailleurs, ce qui n'est pas le cas des surdoués. En maths par exemple. Elle a beau avoir des notes acceptables dans les 80%, reste que si elle prend du retard, c'est sûr qu'elle va éventuellement pleurer sur un exercice rebutant rendue à la maison. Amélie est foncièrement «braillarde». Elle n'accepte pas encore cet état de fait, ce n'est qu'à l'âge adulte que ça se fera...et qu'elle apprendra à se contrôler...à son grand bonheur.
Outre les maths, le problème d'Amélie, c'est l'anglais. Pourtant, elle adore ses cours, elle aime ça apprendre une nouvelle langue, une nouvelle grammaire, de nouveaux mots. Mais ça bloque à l'oral. Amélie se trouve «poche»: tous les autres parlent mieux qu'elle, tous les autres regardent et comprennent la télé en anglais, tous les autres pratiquent avec leurs parents. Mais surtout, les autres ne disent pas «tent» quand ils parlent de leur «tante». Les autres, ils ne s'humilient pas publiquement. Mais la mère d'Amélie ne parle pas un mot d'anglais et son père, bien, son père s'est éloigné depuis longtemps et elle est presque certaine qu'il ne parle pas plus que sa mère.
Et donc, Amélie braille parce qu'elle n'est pas bonne en anglais. Amélie braille parce que sa prof parle juste en anglais et qu'elle ne comprend pas toujours. Amélie braille parce que, des fois, si ses amies ne lui chuchotent pas en français ce qu'il faut faire, elle doit user de stratégies pour ne pas avoir l'air dinde devant la prof. Bref, Amélie braille à la maison chaque fois qu'elle a un cours d'anglais durant la journée.
Ce soir, Amélie fête ses 13 ans. Étonnamment, son père lui a fait parvenir un cadeau. Le seul depuis le divorce de ses parents. Le seul qu'elle aura du reste de sa vie. Le cadeau, c'est de l'argent. L'argent qui permettra à Amélie de prendre part au voyage scolaire. Le seul qu'elle fera de son secondaire. Une semaine en Alabama, au Space Academy Center. Une semaine à jouer à l'astronaute, à expérimenter l'apesanteur, à téléguider une réplique du bras canadien, à apprendre à conduire une navette spatiale, à enfiler un vrai costume d'astronaute, à suivre des cours d'astronomie. Mais surtout, une semaine où les communications devront se passer uniquement en anglais. Une semaine où tous les participants francophones s'engagent à ne parler qu'en anglais, même entre eux.
Une semaine inoubliable.
Une semaine où, enfin, le blocage d'Amélie est parti.
Une semaine après laquelle, en classe, elle n'avait plus besoin de ses amies, parce qu'il faut bien le dire, sa prof articule pas mal plus que les Alabamiens.
Une semaine après laquelle, au retour de l'école, Amélie suit religieusement «Fresh Prince of Bel Air» en comprenant les blagues douteuses de Will Smith.
Amélie n'est jamais devenue complètement bilingue, mais 16 ans plus tard, dans sa vie amoureuse, c'est souvent en anglais que ça se passe.
Amélie est un peu réticente devant cette idée, mais 16 ans plus tard, elle se doit de remercier son père pour cet unique cadeau de fête.
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9 commentaires:
On est en plein dedans... Que j'peux comprendre!
Beau billet, Amé...
@ Drew: C'est d'ailleurs un de tes billets dernièrement qui m'a ramené ce souvenir. Courage!
@Ge: Merci Bella xx
J'ai l'impression que c'est moi....
J'ai été parachuté en Ontario à 8 ans, moi qui n'avait jamais entendu parler anglais auparavant!
Ça a été dur mais une vraie bénédiction :)
J'aime bien ton blog, j'y reviendrai!
@Lily: Merci et bienvenue chez moi :)
Je viens chez toi pour la première fois, ayant découvert ton blog chez Drew. Quel beau texte! J'aime beaucoup les temps mis par écrit. :)
@Joulie: Merci pour le petit mot et bienvenue chez moi!
C'est plutôt à toi que tu devrais dire merci, Bella. C'est toi qui a appris.
:)
@Morgane: Comme d'hab' tu sais quoi dire pour me rendre heureuse!
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